
A son ouverture, Scopéli, futur supermarché coopératif de la région Nantaise, fonctionnera sous le statut de coopérative de consommateurs. Les coopérateurs seront propriétaires du supermarché et donnerons chaque mois trois heures de leur temps pour assurer le fonctionnement du magasin.
Carine, adhérente de l’association s’est intéressée à l’histoire des coopératives de consommateurs. Gérard Lesage, historien, écrivain et membre de l’Académie des Belles Lettres d’Angers a répondu à ses questions.
Bonjour, pouvez-vous nous présenter succinctement votre travail et pourquoi les coopératives de consommateurs font partie de votre histoire ?
Je suis plutôt spécialisé dans le XVIIIème siècle, mais durant mon enfance, j’ai baigné dans le climat « coop ». Mon grand-père paternel et l’une de mes tantes ont été gérants d’une succursale COOP dans le Nord. Aussi l’histoire du mouvement coopératif est l’un de mes centres d’intérêt.
Quand sont apparues les coopératives de consommateurs ?
Dans la première moitié du XIXème siècle. C’est en 1844 qu’est fondée à Rochsdale, un faubourg de Manchester, par 28 ouvriers tisserands, la « société des équitables pionniers de Rochsdale », la 1ère coopérative de consommateurs qui a duré longtemps, quelques expériences antérieures ayant rapidement échoué.
Quel était le contexte historique et social ?
Nous sommes alors, en Angleterre particulièrement, au cœur du processus de la révolution industrielle. Avec comme conséquence une augmentation considérable du nombre des ouvriers dont beaucoup vivent dans une grande pauvreté.
Dans le domaine des idées, c’est aussi l’époque des débuts du socialisme et du christianisme social. Deux doctrines qui convergent pour rechercher les moyens d’améliorer la situation du monde ouvrier. Les coopératives de consommation, permettant de faire baisser les prix, sont tout naturellement une piste à explorer, en France chez Charles Fourier et Pierre Joseph Proudhon, en Angleterre chez Robert Owen.
Y a-t-il des régions particulières en France ou était-ce réparti uniformément ?
La France n’est bien sûr pas absente lors de la naissance du mouvement coopératif et des initiatives locales peuvent être citées comme la création d’une épicerie sociale à Lyon dès 1835, mais sa durée de vie sera très brève. Par la suite alors que le nombre de coopératives ne va cesser de croître à partir de la fin du XIXème siècle, si l’ensemble du territoire est concerné, on note de fortes disparités régionales. Ainsi sont-elles plus présentes dans les départements de la bordure sud du Massif Central et dans ceux de l’Ouest, moins en région parisienne et en Normandie.
Pourquoi ont-elles été créées ?
Lutter contre la vie chère est bien sûr l’objectif premier mais il n’est pas le seul. Comme l’a bien expliqué Charles Gide, l’un des grands théoriciens du mouvement coopératif, ce dernier est aussi une école de la démocratie. Les sociétaires y apprennent à définir collectivement la politique de leur coopérative, tant pour la recherche des fournisseurs, que pour sa gestion ou encore la répartition de ses bénéfices.
Quelles catégories de population ont créé ces coopératives ?
On est bien sûr tenté de privilégier la population ouvrière. Mais si cela se vérifie souvent ce n’est pas une règle absolue. Des régions à forte concentration ouvrière comme le département du Rhône sont ainsi demeurés largement à l’écart de ce mouvement. L’engagement individuel de personnes très sensibles à l’idéal coopératif a été un facteur souvent décisif pour l’implantation et le dynamisme des coopératives.
Qui allait faire ses courses dedans ?
Je vais ici faire appel à mes souvenirs d’enfance. Dans le village du Nord où j’habitais, Haspres , mais aussi dans les proches localités que je fréquentais pour des raisons familiales, aller à la coopérative était à la fois un marqueur social et un geste politique. En gros, aller dans ce magasin était le fait des « petites gens » (par opposition à ceux que l’on appelait alors « les gros »), et témoignait de l’adhésion aux idées de gauche.
Certaines ont-elles perduré jusqu’à nos jours ?
Oui bien sûr. En 2015, la fédération nationale des coopératives de consommation en recensait une cinquantaine. Mais il est vrai qu’après avoir connu son apogée aux alentours des années 1950, le mouvement s’est ensuite inversé et que les années 1980 ont été marquées par un effondrement brutal de leur nombre.
Pourquoi ont-elles ainsi disparu ?
Pour plusieurs raisons. J’en citerai deux qui me paraissent essentielles.
D’abord, le réseau des magasins coopératifs n’a pas su se rénover. Nombre de magasins étaient vieillots et ils ne desservaient guère les secteurs à forte croissance démographique comme les banlieues des grandes villes. Ils n’ont pu supporter la concurrence des grandes surfaces.
D’autant que ces dernières étaient plus adaptées aux profonds changements dans les mentalités qu’a connus la seconde moitié du XXème siècle, avec la montée de l’individualisme et le repli sur la cellule familiale. Les coops n’étaient plus en phase avec la consommation de masse et la civilisation du loisir qui se sont imposées au tournant des années 80.
En quoi ce système était-il différent de Scopéli ?
Le projet Scopéli s’inscrit bien dans la philosophie qui a prévalu lors de la création des premières coopératives de consommateurs. Les clients y sont aussi des coopérateurs, qui œuvrent ensemble à la bonne marche de leur société. En prévoyant, pour chaque membre, trois heures de travail mensuel et bénévole, Scopéli va d’ailleurs au bout de cette logique. Avec de surcroît la préférence donnée au bio pour ce qui est des produits et la priorité donnée aux producteurs locaux, il répond aussi aux nouvelles idées qui prennent corps dans le domaine de la consommation. En cela il est bien dans l’air des temps nouveaux.
Article rédigé par Carine Lesage